La première révolution industrielle

Le mouvement ouvrier

La grève

Le moyen de défense le plus couramment utilisé par les ouvriers au cours du XIXe siècle fut la grève, bien qu'elle demeurât illégale en France jusqu'à la loi de 1864, dite loi Emile 0llivier, autorisant les coalitions. Ces grèves eurent des causes très diverses, entre autre le refus de salaires de misère ou la rébellion contre des conditions de travail misérables. Ce texte de 1837 apporte une note différente : les ouvriers de l'usine métallurgique de Fourchambault entendent protester contre la présence de spécialistes anglais à la fonderie et provoquent une petite émeute aux cris de « Vivent les Français, mort aux Anglais ». Le préfet de la Nièvre fait part au ministre de l'Intérieur de son inquiétude. Six apprentis furent arrêtés, sur lesquels cinq furent condamnés à des peines de prison variant de 15 jours à 6 mois.

... (L'usine de Fourchambault) occupe intérieurement et extérieurement près de 1 500 ouvriers; ceux qui habitent dans les bâtiments de l'usine sont au nombre de 3 à 400; c'est parmi ces derniers principalement que les désordres ont eu lieu. La cause ou du moins le prétexte est un sentiment de jalousie qui s'était manifesté parmi les ouvriers français contre les ouvriers anglais qui forment une colonie dans l'établissement où ils sont employés pour la plupart depuis l'origine, c'est-à-dire depuis 1821. Jusqu'à présent ce sentiment de jalousie, s'il existait, ne s'était pas révélé, mais il s'est montré tout d'un coup à l'occasion de l'arrivée de plusieurs nouveaux ouvriers anglais qu'on a récemment fait venir d'Angleterre pour appliquer une nouvelle méthode de fusion de la fonte. Les ouvriers français se prétendaient capables d'exécuter ce genre de travail qui procure un salaire plus élevé et de ce moment ils se sont mis en querelle avec les étrangers. Divers petits incidents avaient depuis quelques jours aigri ces querelles lorsque le samedi 19 de ce mois l'exaspération des ouvriers indigènes s'est portée au comble. Deux maisons habitées par les étrangers ont été assiégées, toutes les fenêtres ont été brisées et l'un des ouvriers anglais a été blessé d'un coup de couteau au bras. Ils annonçaient même l'intention de tuer l'autre et ce n'est que le courage montré par le capitaine de la Garde Nationale de Garchizy (...) qui a empêché ce malheur. Il s'est mis à la porte déjà à demi enfoncée et, l'épée à la main, il a contenu les assaillants et a donné à l'Anglais le temps de se sauver. Toute la nuit, les ouvriers sont restés sur pied, criant et vociférant contre les hommes à qui ils en voulaient.
M. Boigues, chef de l'usine, qui est un père pour ses ouvriers, n'a pu venir à bout de calmer leur fureur. Les chefs d'ateliers qui sont plus en contact avec eux n'ont pas eu plus d'avantage.
Texte extrait de G. THUILLIER « Georges Dufaud et les débuts du grand capitalisme dans la métallurgie en Nivernais au XIXe siècle ». Paris. S.E.V.P.E.N., 1959, pages 304-305.

Les mineurs et l'Internationale

Un autre moyen de défense des ouvriers contre l'exploitation patronale fut la création d'associations professionnelles, les syndicats ou les Bourses de travail. Un mouvement de solidarité internationale entre les travailleurs conduisit à la formation en 1864 de l'Association internationale des Travailleurs, inspirée par Marx et le français Tolain. Sur ses buts et ses moyens, laissons parler Pluchart, dans Germinal. Le roman de Zola parut en 1885, dans la série des Rougon-Macquart, mais son action est censée se dérouler pendant les dernières années du Second Empire au moment précis où l'Internationale faisait une active propagande dans les milieux ouvriers en profitant des grèves qui avaient éclaté ici et là, en particulier à La Ricamarie, dans le bassin houiller de Saint-Etienne.

Il parla. Sa voix sortait, trouble et rauque; mais il s'y était habitué, toujours en course promenant sa laryngite avec son programme. Peu à peu, il l'enflait et en tirait des effets pathétiques. Les bras ouverts, accompagnant les périodes d'un balancement d'épaules, il avait une éloquence qui tenait du prône, une façon religieuse de laisser tomber la fin des phrases, dont le ronflement monotone finissait par convaincre.
Et il plaça son discours sur la grandeur et les bienfaits de l'Internationale, celui qu'il déballait d'abord, dans les localités où il débutait. Il en expliqua le but, l'émancipation des travailleurs ; il en montra la structure grandie, en bas la commune, plus haut la province, plus haut encore la nation, et tout au sommet l'humanité. Ses bras s'agitaient lentement, entassaient les étages, dressaient l'immense cathédrale du monde futur. Puis venait l'administration intérieure : il lut les statuts, parla des congrès, indiqua l'importance croissante de l'oeuvre, l'élargissement du programme, qui, parti de la discussion sur les salaires, s'attaquait maintenant à la liquidation totale, pour en finir avec le salariat. Plus de nationalités, les ouvriers du monde entier réunis dans un besoin commun de justice, balayant la pourriture bourgeoise, fondant enfin la société libre, où celui qui ne travaillerait pas, ne récolterait pas ! Il mugissait, son haleine effarait les fleurs de papier peint, sous le plafond enfumé dont l'écrasement rabattait les éclats de sa voix.
Une houle agita les têtes. Quelques-uns crièrent :
- C'est ça!... Nous en sommes !
Lui, continuait. C'était la conquête du monde après trois ans. Et il énumérait les peuples conquis. De tous côtés pleuvaient les adhésions. Jamais religion naissante n'avait fait tant de fidèles. Puis, quand on serait les maîtres, on dicterait des lois aux patrons, ils auraient à leur tour le poing sur la gorge.
- Oui ! oui !... C'est eux qui descendront !
D'un geste, il réclama le silence. Maintenant, il abordait la question des grèves. En principe, il les désapprouvait, elles étaient un moyen trop lent, qui aggravait plutôt les souffrances de l'ouvrier. Mais, en attendant mieux, quand elles devenaient inévitables, il fallait s'y résoudre, car elles avaient l'avantage de désorganiser le capital. Et, dans ce cas, il montrait l'Internationale comme une providence pour les grévistes, il citait des exemples : à Paris, lors de la grève des bronziers, les patrons avaient tout accordé d'un coup, pris de terreur à la nouvelle que l'Internationale envoyait des secours de Londres, elle avait sauvé les mineurs d'une houillère en rapatriant à ses frais un convoi de Belges, appelés par le propriétaire de la mine. Il suffisait d'adhérer, les Compagnies tremblaient, les ouvriers entraient dans la grande armée des travailleurs, décidés à mourir les uns pour les autres, plutôt que de rester les esclaves de la société capitaliste.
E. ZOLA : « les Rougon-Macquart », Paris, Gallimard, « bibliothèque de la Pléiade », 1960, pages 1347-1348.

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